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by • 27 septembre 2018 • Mes chroniques littérairesCommentaires fermés sur Essor Saladais du 28 septembre 20181488

Essor Saladais du 28 septembre 2018

 

 

 

Un conte philosophique selon Boualem Sansal.

Le Tour des Livres.

 

Après son « 2084 » très célébré, Boualem Sansal nous revient avec un roman philosophique intitulé « Le Train d’Erlingen ou La métamorphose de Dieu », publié chez Gallimard. Le ton est humoristique, mais la tragédie rode. La ville allemande d’Erlingen est assiégée par les Serviteurs qui ont décidé de faire de la soumission à Dieu la seule loi du monde. Héritière d’un puissant empire industriel, Ute von Ebert écrit à sa fille Hannah, qui vit à Londres. Elle lui décrit la vie dans cette ville assiégée, et l’espoir de ce train qui doit évacuer la population. Ute écrit aussi un roman sur le sujet. On ne sait donc jamais vraiment si on est dans la réalité ou dans la fiction. L’ambiance ressemble au « Désert des tartares » de Dino Buzzati ; l’ennemi n’est jamais identifié, mais il semble se multiplier comme par magie. Les idiots utiles, les lâches, les opportunistes, se convertissent peu à peu. Il semble que la vertu et le péché vont de paire : le meurtre et la justice, la dictature et la résistance. S’il est facile d’identifier les Serviteurs aux islamistes, ici tout est symbole ! Le choix d’une ville allemande et du train qui doit emporter la population, évoque les sombres heures du nazisme. Le train est-il l’espoir ou la déportation ? Boualem Sansal a écrit que si les islamistes arrivaient au pouvoir, ils seraient peut-être pires que les nazis. Mais l’Allemagne, c’est aussi ce pays qui, peut-être par peur du jugement, ouvre toutes grandes ses frontières à l’immigration, sans trier les arrivants. Londres est ici aussi la ville refuge d’où s’organise la résistance. Un livre dérangeant et utile.

Chez Actes Sud, l’Egyptien Alaa El Aswany, auteur de « L’immeuble Yacoubian », nous propose « J’ai couru vers le Nil ». Comme Boualem Sansal est interdit de publication en Algérie, lui l’est dans son pays. Il décrit le printemps arabe, la révolution qui s’est déroulée au Caire, les espoirs qu’elle a suscités, les désillusions, le choix impossible entre des Frères Musulmans, élus régulièrement par la population, mais qui conduiraient le pays dans l’horreur islamiste, ou le coup d’état qui conduit au pouvoir les militaires. Le Caire est une ville-monde et sa population, une mosaïque d’opinions, de croyances. Construit comme un feuilleton, c’est un hommage à la jeunesse cairote, qui a concentré espoir, courage et sacrifice. Chacun des personnages du roman porte en lui à la fois les qualités du peuple égyptien et l’origine de son malheur.

Chez le même éditeur, le congolais In Koli Jean Bofane publie « La Belle de Casa ». La belle Ichrak a été assassinée dans un quartier populaire de Casablanca, au Maroc. Effrontée, provocante, elle ne se laissait ni séduire ni importuner. Tous la convoitaient et tous la craignaient. Depuis peu, elle s’était associée avec Sese, un clandestin tout droit débarqué de Kinshasa, dans un trafic douteux sur internet. Ce faux polar dénonce un fait la société contemporaine, menée par l’argent, le sexe et le pouvoir. C’est un phénomène universel. L’auteur dénonce la corruption immobilière, la précarité des migrants, la concupiscence des hommes. Cela pourrait être désespérant, mais il sait y garder quelque chose de joyeux et de truculent.

Chez Grasset, Abnousse Shalmani nous fait partager son expérience de l’exil dans « Les exilés meurent aussi d’amour ». Cette saga familiale commence en Iran d’où la petite Shirin part, avec les siens, pour Paris. C’est avec ses yeux d’enfant que l’on découvre ce monde tout nouveau, étrange. Comment peut-on être Parisien ? Un pays où les femmes parlent de leur sexualité, sortent dévoilées, en voiture, sans leur frère ou leur mari. Le roman est aussi une galerie de portraits (on peut comparer son style à celui d’Alaa El Aswany), des personnages qui évoluent selon leur degré d’intégration à la société française et de regrets de la terre natale. Une tragi-comédie colorée.

 

Jean-Luc  Aubarbier.

 

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