Malheur aux vaincus, Gwenaël Bulteau, La manufacture des Livres.
Entre conquête et indépendance, l’Algérie reste un pays méconnu. Avec « « Malheur aux vaincus » de Gwenaël Bulteau, paru en 10X18 et à la Manufacture des Livres, nous somme en 1900. L’armée a laissé le pouvoir à un régime colonial corrompu, la violence, le racisme et un antisémitisme virulent, après l’affaire Dreyfus, sont omniprésents. De riches colons, les époux Wandell, sont assassinés dans leur villa, avec une domestique et deux gardes. On soupçonne des bagnards évadés. Il s’agit, en fait, de condamnés mis en service auprès des Wandell. Le lieutenant Julien Koestler mène l’enquête dans les bas-fonds d’Alger avec l’aide d’enfants délinquants. Il courtise Catherine, une amie de jeunesse qui dissimule sa judaïté. En parallèle, le lecteur suit une expédition militaire (qui a bien réellement eu lieu), partie d’Algérie pour conquérir le Tchad sous la direction du capitaine Voulet. Ce dernier, fou d’ambition et n’obéissant plus aux ordres, fait détruire les villages et massacrer les civils (on songe au colonel Kurtz d’Apocalypse now, inspiré du roman africain de Joseph Conrad Au cœur des ténèbres). En tournant les pages de cet excellent roman, on découvre le rôle des Alsaciens, chassés de leur province par la Prusse et venus faire fortune en Algérie, le rôle des sociétés secrètes musulmanes prônant un intégrisme religieux et le rejet des étrangers et les bandes d’orphelins cruels et attachants, qui hantent les rues d’Alger.
Jean-Luc Aubarbier, écrivain.

L’Escalier du Paradis, Alain Teulié, éditions du Cherche-Midi.
C’est une maison garance accrochée à la colline … Nous sommes à San Francisco avec l’excellent roman d’Alain Teulié, publié au Cherche-Midi « L’escalier du Paradis ». Abandonnant son métier dans une banque new-yorkaise, Alicia s’enfuit en Californie à la recherche d’une vie plus excitante. Elle ne va pas être déçue ! Fascinée par cette ville de hippies (nous sommes dans les années 70), dévorée par l’ésotérisme et la musique, elle rencontre un couple sympathique. Lucas compose, Angie veille sur lui avec un soin jaloux. Elle semble dépendre totalement de lui, en fait c’est elle qui mène la danse. La blonde Alicia et la brune Angie vont former avec Lucas un étrange trio, où se mêlent musique, sensualité, liberté, idées révolutionnaires. Comme dans le célèbre morceau « Stairway to Heaven » œuvre mythique de Led Zeppelin, la relation devient vite dissonante, inquiétante (le texte de la chanson est sensé contenir un message sataniste). L’équilibre précaire va voler en éclats quand Lucas connait un bref et destructeur succès. Le déménagement dans un quartier plus chic et branché, la grossesse non désirée d’Angie qui abandonne un enfant sans prénom entre les mains d’Alicia, va plonger leur univers dans un chaos dangereux. Prisonnière d’une dépendance aux deux autres, comme on peut l’être d’une secte, Alicia aura le plus grand mal à s’en tirer. Un roman envoûtant et un bel hymne à San Francisco, la cité aux rues en pentes.
Jean-Luc Aubarbier, écrivain.

Intervention à la bibliothèque de Cénac, le 13 novembre 2025. Article suivant